Mardi 6 Juin 2000, La République

Exposition / Le Mourenxois René Vidal présente ses travaux à Détours'00, à Billère


Ascension par la face Art


René Vidal, la tête sous ses "Filtres à lumière arabica" : "Cette installation crée un espace où la lumière passe et se projette." (Photos V.F.).

René Vidal a la cafetière qui chauffe. Normal, il travaille avec des filtres à café. Cheveux d'argent et visage ciselé, l'artiste mourenxois les recycle depuis une douzaine d'années. Sans jamais en perdre une goutte, tirant à chaque fois un jus nouveau, une décoction poétique. Il vous parlera de "la chicorée qui jaunit le filtre", vous dira qu'il ne faut "pas laisser trop longtemps la moulure", qu'après infusion "le filtre ne doit pas être lavé." Bref, "une véritable technique de préparation." Tout ça pour quoi ? Pour l'art.

A Billère, dans la grande salle des anciens abattoirs de Pau où se tient l'exposition d'art contemporain Détours'00, flottent dans l'air d'immenses disques diaphanes, ajourés, étoilés, alignés comme autant de lunes dorées. Ce sont les Filtres à lumière arabica de René Vidal. Tout en filtres à café, évidemment. Filtres collés, tendus, ciselés, sertis dans des cercles en bois. "Quand on m'a proposé de venir exposer à Détours'00 sur les "Dompteurs d'ustensiles", j'ai automatiquement dit oui, d'autant que c'est un thème extrêmement ludique" raconte René Vidal, la tête sous les "toiles".

La lumière 
du Moucharabieh


"Dans les Filtres à lumière arabica, l'ustensile devient matériau, matière, il n'est pas traité ici en tant qu'objet" poursuit le plasticien. L'inspiration est venue d'un voyage en Andalousie, d'une visite à Grenade, à l'Alhambra. Sous le soleil, exactement. Dans le voluptueux palais-forteresse édifié au XIVe siècle par les souverains arabes, là où l'architecture est broderie, la lueur vient à René Vidal devant un moucharabieh. Qu'est-ce que c'est ? "Ce sont des paravents en bois qui occultent la lumière, comme un filtre. Placé derrière, on peut voir sans être vu" explique le prof d'art plastique du collège d'Artix. Dès lors, il se met en tête de créer des filtres à lumière, à la manière du moucharabieh et tels qu'on peut les voir actuellement à Détours'00. "Ce travail paraît anodin mais il demande énormément de temps. ce sont des objets à double face, donc il faut coller deux fois" souligne René Vidal. "Cette installation crée un espace où la lumière passe et se projette sur l'autre filtre." Ad Lib.

D'ustensiles 
en aiguilles


Le filtre à café revient inlassablement dans tous les travaux de René Vidal, en l'occurrence ses sculptures dressées dans l'une des salles satellites des abattoirs. Il faut chercher la petite bête, mais on la trouve, enfouie sous une couche de vernis, dépassant là entre pierre et peinture, tel un bout de chiffon-signature, rappelant peut-être les heures d'insomnie, la pause-café, la lecture du marc, l'énervement, l'ébullition de la cafetière. La marque maison en tout cas. ces sculptures, il faut le savoir - "l'art demande une explication" reconnaît Vidal - s'inscrivent dans "une série sur le Pyrénées." "Elles racontes des courses en montagne. Quand je vais en montagne, j'écris, et je recrée ensuite un volume qui exprime cette narration."

Ainsi, dans l'oeuvre intitulée Ansabère, un corps de femme épouse l'arête rocheuse : parce que les aiguilles du massif sont connues comme les Demoiselles d'Ansabère. Ici, un crâne d'isard, soit la tête de mort qui dit la vanité de l'homme face à la nature. Dans la tête de mort, un bout de miroir vient rappeler : "Regarde bien comment tu seras." Là, des morceaux de verre : dur et cassant, comme la glace donc.


"Cette série sur les Pyrénées raconte des courses en montagne."

Puis des éléments mathématiques, mystérieux entrelacs de chiffres : c'est l'hommage à l'ami pyrénéiste Bernard Baudéan, amputé après Ansabère. Il était prof de math. "Ca va vite dans ma tête, très vite. Je mets toute ma vie" là-dedans lâche René Vidal, tombé depuis son Lot natal au pied des Pyrénées voici 20 ans.

Avec quelques clés, quelque imagination, ces Balaïthous, Orhy ou Porteïllou se découvrent alors comme des romances illustrées, où chaque chose à un sens, n'est jamais là par hasard. On peut aussi se contenter, et c'est très bien ainsi, de n'en retenir que la seule esthétique, chaque sculpture s'offrant au regard comme des trésors de couleurs et de matières, telles des crèches enfermant de petites épopées contemporaines, emplies de poésie, où l'on s'amusera à retrouver, par exemple, la pierre sommitale que René Vidal ramène de chacune de ses ascensions inspirées.