juin 1979
On peut actuellement visiter à Pau, dans le hall du journal
"La République", une exposition de 11 sérigraphies de René Vidal
censées illustrer 11 poèmes de Jean Demelier, le tout réuni sous le titre
quelque peu philosophique de dénature. Ce titre programme à lui seul suffirait
à apostropher le visiteur et en cas de surdité, l'art même de Vidal, par son
éclatement premier doit sinon retenir l'attention, du moins la soutenir. Car à
n'en point douter Vidal dénature à tour de bras (à tour de force ?) comme
d'autres déconstruisent, déstructurent et démasquent. Ainsi faut-il
comprendre que ses fulgurances, ses éclats (ou ses éclaboussures), sa
polychrome polymorphe, à fore de tous, détours, contours, retours obtiennent
en fin de compte la mise en évidence non point de la beauté, cette fadaise,
mais de l'humanité. L'art de Vidal est un art de la trituration, de la transformation,
de la transfiguration. C'est un art de sculpteur, c'est-à-dire de poète.
C'est pourquoi d'ailleurs de ses sérigraphies on peut dire qu'elles sont
censées illustrer les poèmes de Demelier au sens où elles les illustrent
censément c'est-à-dire les expriment. Sans jeux de mots de Demelier ou de
Vidal rien n'est à démêler puisque aussi bien le texte poétique court
d'apparence en apparence, de couleur en couleur, d'état en état, comme cette
insistance petite musique qu'on ne peut entendre qu'au delà du son et qu'on
nomme selon les moments l'angoisse ou l'amour.
En fin de compte il n'y a pas à s'y tromper, censément Vidal n'illustre que lui et, toute flagornerie mise à part, ce n'est pas un mince mérite. Face à l'énigme, cette clarté qui éblouit, face à la brisure qui nous ronge le coeur et le ventre, comme l'homme des cavernes il s'inscrit sur la pierre, la toile, là où la facilité serait dans la répétition itérative. Mais ne nous y trompons pas nous qui vivons dans la caverne de béton et de sanitaire, si quelque chose doit être inscrit et lu, ce sera grâce au coeur qui reste le seul muscle digne d'êtres humains. Point n'est alors besoin de machines à pulsion mais de poésie, au sens premier, c'est-à-dire de création pour habiter et cette terre et nous-même.
Telle est sans doute l'originalité de René Vidal et qui se suffit à elle-même. Nul n'est contraint de l'apprécier mais sachons qu'y être insensible pourrait bien signifier ne rien comprendre à rien dans la mesure justement où s'expriment ici et se justifient nos fantasmes et le désir même de nos désirs.
Par ses chemins de fuite, ou de ronde, ce à quoi parvient Vidal c'est à la liberté. Soyons-lui reconnaissant de songer à nous y entraîner.
M. PIN