L'invité René Vidal, sculpteurvit à Mourenx depuis 1979. Certaines de ses oeuvres viennent d'être exposées à l'Hôtel de Ville. Parmi elles, les Soeurs Jumelles, qui ouvrent une série que l'artiste entend consacrer aux Femmes du Parc Güell de Barcelone. Une de ces Jumelles, réalisée en collaboration avec l'association Lacq-Odyssée, est en composite verre-polyester. Elle demeurera à la mairie.

Profitant de ces circonstances, nous avons demandé à Eric Perrodo, président de Lacq-Odyssée, d'en apprendre davantage et d'interviewer pour nous René Vidal.

Question : Je connais toutes sortes de gens, mais avant toi, je ne connaissais aucun sculpteur. Comment diable devient-on sculpteur ?

Réponse : Je ne peux pas dire que j'ai "voulu" devenir sculpteur. Ce que j'ai voulu, et d'aussi loin qu'il m'en souvient, c'est "faire de la création". Faire de la création, c'est porter (nourrir ?) quelque chose en soi et se donner le moyen de l'extérioriser. La sculpture est pour moi ce moyen. Mais ça aurait très bien pu en être un autre. Très jeune, je dessinais. Ça m'a mené aux Beaux-Arts. Là, quand il s'est agi de choisir une spécialité, j'ai choisi la sculpture. Pourquoi ? Je crois que la personnalité de Marcel Gili (mon maître aux Beaux-Arts) a été déterminante. Gili a été l'élève de Maillol et de Gustave Violet. Avoue que ça me fait une belle filiation !

Question : J'avoue ! Mais j'imagine qu'il n'y a pas que Maillol qui compte à tes yeux...

Réponse : Evidemment ! Historiquement, la première référence, c'est Rodin, en quelque sorte c'est le premier "Moderne", celui qui a mis le feu aux poudres. Puis viennent Maillol et Laurens (la première exposition de sculpture que j'aie vue était une exposition des oeuvres de Laurens). Quelqu'un comme Giacometti m'a influencé au tout début, quand je travaillais sur la terre. Mais celui que je tiens pour être l'artiste majeur de ce siècle, que je mets plus haut que Matisse et Picasso, c'est Marcel Duchamp. A mes yeux, voilà le véritable initiateur de l'art contemporain, celui qui a définitivement rompu avec l'Académie et les académismes.

Question : Tu dis qu'au début, tu travaillais la terre. Aujourd'hui la matériau que tu utilises principalement est le bois. Peux-tu en parler un peu ?

Réponse : En fait, il s'agit d'un bois "composite", de lamelles de bois industriels que je colle, façonne, modèle et peins. Ce n'est pas si éloigné que ça du travail de la terre : je n'enlève pas du matériau (ce qu'on appelle la "taille directe") mais au contraire j'en ajoute... Si j'ai retenu ce matériau et cette manière de le travailler, c'est aussi pour m'adapter à des conditions difficiles : pas d'atelier, atelier trop petit, nécessité de faire un minimum de bruit, de ne pas trop salir... 

Question : Tu t'installes à Mourenx en 1979. Pendant les 5 ans qui suivent, tu n'exposes rien. Lien de cause à effet ?

Réponse : Pas du tout ! Simple coïncidence. Je me suis fixé à Mourenx parce que j'ai été nommé prof de dessin à Artix. S'il est vrai que je commence alors une période pendant laquelle j'ai été coupé de toute vie sociale, la cause est à chercher en moi-même : je travaillais à l'Indedins.

L'Indedins est en quelque sorte mon "grand oeuvre". Il s'agit d'une sculpture circulaire (4 mètres de diamètre et plus de 400 éléments qu'il m'a fallu assembler) qui m'a été inspirée par l'œuvre de Duchamp intitulée Etant donnés : 1° - le gaz d'éclairage, 2° - les chutes d'eau. Ça m'a pris près de 6 ans. A la différence de l'Etant donnés., de Duchamp, qui est "impénétrable", on peut "pénétrer dans ma sculpture, tout simplement : en poussant la porte.

Question : Et Gaudi dans tout ça ?

Réponse : Gaudi, c'est une longue histoire. Pendant des années, je ne possédais le concernant que deux choses : un article sur lui paru dans le numéro d'octobre 1969 des Chroniques de l'art vivant et tirée de la même revue, la photographie d'un détail de la Sagrada Familia, qui fut pour moi une révélation : j'y voyais un bourgeonnement de la pierre, des poussées de la matière, le type même de la sculpture venant de l'intérieur, des profondeurs de l'être. A partir de là, je me suis inventé Gaudi. Ce n'est en effet qu'en 1976, à l'occasion d'un trop bref voyage à Barcelone, que j'ai vu réellement pour la première fois une oeuvre de lui.

Question : C'est à ce moment que l'idée est née en toi de consacrer une série aux Femmes du Parc Güell ?

Réponse : Non. Pour que je découvre le Parc Güell et son banc, il faudra attendre encore dix ans et un autre voyage, en mai dernier, suivi d'un séjour d'étude en décembre. C'est là qu'Hélène Saule-Sorbé et moi, avons décidé de travailler conjointement : elle ferait des aquarelles du banc, moi j'en ferais des sculptures. Les Soeurs Jumelles (l'originale en bois et sa réplique en composite verre-polyester) sont les deux premiers objets de cette série.

Question : Une dernière question : quelle importance accordes-tu au regard que les autres portent sur tes oeuvres ?

Réponse : Quelque chose doit passer. Une oeuvre qui ne susciterait aucune réaction (que ce soit en bien ou que ce soit en mal) serait une oeuvre qui "n'existerait" pas...

Ceci étant dit, je n'essaye ni de plaire, ni de déplaire, ni de flatter le regard, ni de le provoquer. Le problème esthétique n'est pas pour moi le problème essentiel : je ne sculpte pas pour "faire beau" ou pour "faire du beau", mais pour extérioriser une histoire, une émotion, une passion...

le journal de Mourenx, 1987