(Galerie Art Sud de Toulouse. Mai 2001)
Depuis que Duchamp les a invité à faire de l’art avec tout et en tout lieu, les artistes vont d’appropriations en détournements. En 1992, René Vidal s’approprie le filtre à café pour le métamorphoser en une œuvre d’art, belle, enjouée et divinatoire. Il ne s’agit pas d’un pur ready-made, si tant est d’ailleurs que celui-ci ait jamais existé ailleurs que dans l’esprit de quelques pédants, mais de filtres détournés, entrelacés et détourés avec tant de goût, de patience, de tendresse, d’intelligence cultivée, d’ingéniosité et d’humour qu’ils deviennent des philtres d’art et d’amour variant selon les formes, les lumières, les airs, les lieux et les jours.
Le goût des filtres à café
René Vidal choisit ses filtres à café selon un hasard qu’il cultive
avec autant de soin qu’un jardinier son terreau. Il les choisit selon les
couleurs laissées par les moutures. Et ces couleurs ont des valeurs. Les
arabica purs, foncés, s’attachent aux lignes de crête ; les métissés,
plus clairs, préfèrent les creux du cône. Les teintes varient aussi selon que
la mouture a été enlevée plus ou moins vite et le lieu où le filtre a
séché. Parfois, l’artiste ajoute un peu trop de chicorée pour obtenir des
teintes plus chaudes. Et ces valeurs ont des senteurs qui flirtent dans l’air.
La patience des filtres à café
Le filtre est une empreinte qui garde patiemment les traces d’une
histoire, d’un tempérament. Dis moi comment tu passes ton café et je te
dirai qui tu es. Autant de filtres autant de manières d’être au monde, de
passer dans l’odorante légèreté de l’être. Il y a les pressés, les
serrés, les rapides, les lents, les purs, les métissés, les forts, les
légers, etc.…
La tendresse des peaux de café
Les filtres ont une peau d’une tendresse toute particulière. Une peau
fragile d’enfant tavelée et ridée comme celle d’un étrange vieillard. Une
peau oxymorique qui condense l’histoire d’une vie. "Que j’aime ta
couleur café", chante le poète. Le plasticien, lui, en a fait des
tondi en forme de mandalas suspendus, où les portes se font pores.
L’intelligence cultivée des philtres à café
Avec une extrême délicatesse, René Vidal colle les filtres à café de
part et d’autre d’une feuille de papier ou d’une fine toile, qu’il
sertit d’un anneau de bois teinté et ciré. Puis, à l’aide d’un cutter,
il sculpte des ouvertures qui donnent aux tondi, l’aspect d’un moucharabieh
mobile. Percés de zelliges de lumières et de vents, ces mandalas en forme de
moucharabiehs rondes et mobiles "philtrent" avec amour et humour les
meilleurs moments de l’histoire des arts métissés.
L’ingéniosité et l’humour des filtres à lumière
A la série des Filtres
à lumière Arabica, qui a connu un grand succès à l’exposition
internationale d’art contemporain de Détours
2000 aux Abattoirs de Billère, succède aujourd’hui celle des Filtres
à lumière baroques et
peaux de café qui met en évidence une combinatoire plus complexe d’entrelacs,
de rinceaux et de lignes plus souples et sinueux, dans des tondi de diamètre
plus petit (110cm au lieu de 145cm). Suspendus comme les mobiles de Calder,
flottant comme des chérubins malicieux à la peau dorée de lumières, les
tondi de René Vidal sont aussi des cartes du ciel ; des girouettes d’humeurs
sereines, des horoscopes d’amour, propices à une ludique et heureuse
géomancie.
Bernard LAFARGUE
Rédacteur en chef de Figures de l’art
Dernier n° paru : Nude or Naked ? Erotiques ou pornographies de l’art,
669p. Eurédit, 2000