Nous isoler des choses, puis nous y réinstaller/les « mettre au point », à notre point (à notre poing l'oiseau vainqueur de la clarté). Nous séparer un instant du monde et nous le reproposer/le « mettre au clair », en nous éclaircissant (dans l'oeil un peu de certitude). C'est ce que signifie, immédiatement, le travail de Bayle et de Vidal.

Sources différentes, voies différentes, objets différents, travaux différents : Vidal, d'abord sculpteur - Bayle, premièrement peintre. Mais dans les objets solitaires et accusateurs de l'un , dans les pièges tendus par les monotypes de l'autre, « peinture » et « sculpture » s'effacent à travers leur travail matériel, la forge d'une réalité neuve. Car ce n'est pas le hasard qui regroupe ici leurs oeuvres, mais un même souci d'affirmer l'importance de la préméditation technique dans la création artistique. Il suffit de considérer les problèmes posés/résolus par la mise en oeuvre de tous les matériaux d'une Filha Polida, par le tressage des matières et des épaisseurs d'une Topographie : bois, toiles, sables, chaînes, encres, trames, papiers peints, cailloux, gouache, laines, serrures, polystyrène, cartons, cuirs, verre, cire, miroirs, débris métalliques, papiers, poussières sont convoqués pour une même (ré-)organisation du sensible. Le travail vise ici d'abord à la production d'un objet signifiant, dont les conditions de création (et la résolution de celles-ci) demeurent visibles et se manifestent clairement comme l'aspect premier de l'oeuvre : l'usage précède et fait le visage.

Alors... art gratuit ? Jeux formels ? Beaux objets absurdes ? Non, certainement pas. Car si le geste créateur reste pris dans la toile, sensible sur le bois, c'est pour occulter un instant, retarder l'intention, la parole implicites (et ainsi plus précisément signifiées) - et nous dire que l'engagement se fait d'abord par une réflexion constante sur les moyens de l'art, puis par l'objet (imaginaire ou reflet du réel ?) et l'intention (méditative ou violente ?)

D'où l'usage des séries, conçues comme la répétition articulée et active, non d'un même motif (ce serait dire la même « motivation » extérieure) mais du même geste fabricateur, dont la conséquence dernière est d'éclairer la visée essentielle de l'oeuvre ; et mieux que ne le ferait déclaration ou étalage tapageurs de « sujets », de « messages » et de « sentiment » - à travers et dans une combinatoire de signes indépendants.

LA SEMAINE DE RENÉ VIDAL

Au commencement était LA MAIN.  C'est-à-dire : la hache portée contre le bois, la bille de noyer, son arrondissement dans la main - 1. C'est-à-dire : le sabot, la gueule sonore du vent, le refermement du poing - 2. C'est-à-dire : la balle du rugby, la passe intelligent, la mêlée des doigts, des poings et des dos - 3.

Puis L'EMBOITEMENT. C'est-à-dire : l'alliance difficile et la lourde juxtaposition, le contact et la fuite, la soudure et la configuration - 4. C'est-à-dire : jeu circulaire et déhanchement, gonds fous et chevillage douloureux, Sidobre industriel, pignons vivants - 5. C'est-à-dire : la bataille et ses tunnels de lances, l'épaulement de toutes les violences, le coffrage doré et les épissures du temps - 6.

Et Vidal vit que ceci était bon et ordonna à tout ce confus bordel dimensions (trois), sens (tactile) et matières (innombrables). Et il se fit appeler « Sculpteur » - 7.

Sculpture : c'est le domaine que s'est fixé Vidal, c'est la technique que son exploration, parfois violente, interroge. C'est d'abord le bois ou le plastique, rythmés en poings, en os, en oeufs ou en galets, et où la nécessité du calcul technique, du génie mécanique s'affirment et demeurent dans les évidements te les chevillages qui les charpentent; Moteur. Vertèbres. Genoux. Bielles.

Sculptures encore, les Batailles, d'après Ucello. Bien plus que bas-reliefs. A cause de la même nécessité de construction : composition éclatée en dizaines de pièces, assurée de serrures, de barres, de chevilles, maintenue par ses rythmes chromatiques.

Sculptures toujours, les Filhas Polidas. Vénus d'aujourd'hui, disant dans le déploiement cruel de leurs peaux la même toute-puissance érotique. Écorché des Aphrodites mortes. Divinités réelles (et donc statufiables !) ou (à peine) imaginaires de peuples barbares (que n'avouons pas être). Réquisition de tout l'or, de tous les sangs possibles et de toutes vos nuits.

Et il y eut trois semaines de Jorns. Où le projet graphique, jour à jour, défait suffisamment le plan, le coud, l'épaissit (le sculpte) pur que les pierres (qui ne sont pas toutes blanches) apparaissent comme celles d'un travail à poursuivre, aux limites des objets vivants et de la sculpture.

Pascal Tarche