« Vues d'en haut, |
C’est avec beaucoup d’appréhension que je suis ici aujourd’hui.
Bien sûr, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, car j’aurai pu me dérober,
prétextant...
Mais, dimanche dernier, avec les anciens élèves de Marcel Gili, de l’école nationale supérieure des Beaux Arts de Paris et de Bourges, nous évoquions ses écrits, dans lesquels il regrettait due les artistes ne prennent pas assez la parole en public pour expliquer leur démarche.
Aussi, si je vous demande de l’indulgence, quant à la manière de dire les choses, c’est avec conviction, que j’essayerai de la faire, en pensant à lui.
Mon travail depuis plusieurs années fonctionne de façon sérielle. Le nombre d’oeuvres dans chaque série est variable, souvent au-delà de la dizaine.
ORIGINE DE LA SERIE DES PICS
Mon contact avec la montagne pyrénéenne date de mon installation dans le département des Pyrénées Atlantiques en 1978.
Dès lors, les balades se multiplient. Et comme tout randonneur novice, je découvre ces entassements de pierres sur les sentes, que sont les cairns. Parfois, leur composition originale m’amusèrent et je compris qu’elles étaient la plus évidente et primitive manifestation de la sculpture en montagne hors des sites humanisés. La démarche originelle de marquage du passage, qui devient oeuvre commune pour la sécurité de tous, est sans intention de production artistique, cela parait très clair. Mais, les cairns sont des éléments de mémoire de l’homme dans le paysage, et ils contribuèrent à forger l’idée de prélèvement de la pierre, de l’ultime pierre de la course, celle du sommet, comme le symbole de mon passage.
Bien sûr, l’on ne manquera pas de penser au travail des artistes du Land Art et plus particulièrement à Richard Long. A ses interventions : parcours rectilignes ou circulaires très précisément prévus et dessinés sur une carte, puis exécutés, amoncellement de branches en cercle... accumulation de pierres indiquant une altitude ou une distance. Il tente ainsi, comme il le déclare de joindre la vision d’un artiste à la « tradition merveilleuse de la promenade, du voyage, de l’ascension ».
C’est suite à l’exposition de COURANT D’ART (initiée par Hélène Sorbé) des « 36 vues du Pic d’Ossau », que naquit l’idée de la série des Sommets de la Chaîne. J’ai réalisé les « Passagères Clandestines » après l’ascension du pic avec un groupe d’artistes participant à l’exposition. Et c’est donc du mythique sommet béarnais que j’ai ramené dans mon sac les premières pierres.
Ce travail serait mené en collaboration avec Didier Sorbé qui lui traiterait le sujet en photographie.
Cette même année, conforté dans cette idée, Didier me « hisse » dans la voie Est du Pène Sarrière à Gourette, la série est lancée.
LE CONCEPT
L’idée bien précise au départ de la course de ramener une pierre du sommet, ma propension à écrire un texte relatant certains faits de l’ascension, m’amenèrent tout naturellement au concept suivant :
Ascensionner, Prélever, Restituer.
Ne voyez pas derrière ce vocable de concept la même interprétation que peut en faire Sol Lewitt en juin 1967 dans ArtForum. : « Dans l’art conceptuel, l’idée ou concept est l’aspect le plus important du travail. Quand un artiste utilise une forme d’art conceptuel, cela signifie que toutes les programmations et les décisions sont établies à l’avance et que l’exécution est une affaire mécanique ».
En ce qui me concerne, si je peux accepter le premier point, ma façon de travailler est incompatible pour une exécution mécanique.
ASCENSIONNER -
Contrairement au peintre, au photographe qui travaille face au sujet lorsqu’il réalise son travail in situ, je suis dans le sujet et autant que possible au coeur du cheminement qui me mènera au sommet.
Ceci pour rendre possible la narration de l’espace temps du paysage visité.
C’est au cours de l’ascension, souvent dans le silence de l’effort et le plaisir de la contemplation, dans les attentes nécessaires à la progression du 1er de cordée, que naissent les idées constructrices de l’oeuvre.
PRELEVER -
Lat: Prae (avant) lever (mettre plus haut).
Première intention avant de gravir - pour positionner généralement sur le plus haut de la sculpture.
Ce prélèvement devient un rituel une fois arrivé au sommet. Le choix est à faire parmi les débris de roche: (qualité, forme, chromatisme). Leurs dimensions sont bien sûr conditionnées par le portage dans le sac à dos durant la descente.
La pierre devient une sacralisation de la vue de l’en haut, la possession du territoire de la pierre est une «des vues sur le haut ».
Prélever aussi les éléments visuels dans le paysage; profil de l’arête, lignes de crête, structures géologiques etc...
Prélever, racines mortes, plume, assiette de refuges, étiquettes, écorces, cartes topographiques etc...
RESTITUER -
Ma préoccupation essentielle est donc de raconter une course au sommet, d’un jour donné, d’essayer de restituer les émotions vécues liées à l’ascension, à la situation météorologique etc...
PROCESSUS D’ELABORATION DE LA SCULPTURE
Au retour de la course, le premier travail passe par l’écrit, en une rédaction succincte d’impressions, accompagnée de petits croquis révélant une première intention formelle.
L’ensemble des éléments (objets, pierre, croquis et écrits) reste en jachère dans l’atelier pendant 3 mois à 2 ans après la course, ces échéances sont variables selon la maturation des idées.
Un dessin plus poussé, aux crayons de couleur devient l’acte révélateur de l’oeuvre à naître, avec des intentions plus précises.
Le travail consiste en une recomposition du souvenir tamisé par le temps au travers d’éléments divers qu’il faut lier, assembler, pour créer une cohérence formelle.
Malgré la présence dans bon nombre de sculptures d’éléments figuratifs humains, liés à la métaphore, on ne peut pas dire que ces oeuvres soient des représentations allégoriques de la montagne. Elles font plus penser à des sortes d’ex-voto ou petits autels. Ce caractère cultuel commun à l’ensemble de la série, reflète la réalité de nombreux sommets pyrénéens sur lesquels trônent, croix, vierges, ainsi que de simples réceptacles, parfois boites de fer, de plastique, qui recèlent les impressions des valeureux ascensionnistes. Ces boites peuvent devenir de véritables sculptures comme cette pyramide en acier inoxydable, sur un soubassement carré avec son tiroir, que j’ai vu au sommet de la Montanesa, ou encore cette petite girouette d’acier et de laiton du Lakartxela.
Contrairement aux autres séries, celle-ci, du fait de son indispensable cohérence géographique ne peut se résumer à une dizaine d’oeuvres.
Sa durée implique un échelonnement important, liée aux préalables des sorties et à la réalisation de sculptures.
De ce fait, elle devient transversale aux autres.
Le temps écoulé entre chaque réalisation peut amener d’importants changements de facture, et je suis bien conscient de ces risques quant à l’homogénéité de l’ensemble.
Entre les « Passagères Clandestines » et « l’Aneto», 12 ans se sont écoulés, les premières, par leur plasticité, surface polie, lissée, par leur chromatisme sont en droite ligne sorties de la série des « Femmes du Parc ». « l’Aneto», avec une structure faite d’assemblage de bois brut, et un chromatisme avec l’omniprésence des filtres à café est issu de la série de « TONDI ».
Pour l’instant, l’arrêt de la série ne se pose pas, la diversité de la chaîne peut m’entraîner encore vers d’autres horizons, et je sais que le concept sera peut-être chahuté par des traductions qui pourraient en être radicalement différentes.
René Vidal, Sculpteur
Dimanche 29 août 1999 - Abbaye de l’Escaladieu