LES FILTRES A LUMIERE BAROQUES dont le sculpteur avait exposé les premiers spécimens de la série, en juin dernier, lors de l’exposition Détours’2000 à Billère, sont purement et simplement magnifiquement exécutés. Construits sur des valeurs prédominantes de lumière et de couleurs, ils répondent pleinement à un idéal esthétique fondé sur l’adhésion à la vie réelle, concrète des choses, et à une participation heureuse et sensuelle de la lumière comme moyen autonome d’expression. Tels d’élégantes broderies de papier, les filtres à lumière sont réalisés à partir de filtres à café usagés minutieusement collés sur une toile tendue à l’intérieur d’un cadre circulaire en bois reconstitué monochrome ou bicolore selon une alternance de formes géométriques oblongues ou triangulaires claires et foncées. Les filtres, de par leur agencement et leur tonalité créent un premier motif à l'intérieur du tondo. Mais l'essentiel de la beauté de ces oeuvres réside dans les découpages où les entrelacs de feuillage et les arabesques d'origine végétales se mêlent aux motifs géométriques; leg suprême de l'art musulman d'Espagne (cf. les moucharabieh placés devant les fenêtres, dans les pays arabes, permettant de voir sans être vus). Laissez vous séduire par la forme aérienne de ces philtres(1), par la légèreté de leur structure, l'exotisme alambranesque du motif et le matériau purement vidalien(2).
LES RELIEFS : Après Ucello, Piero di Cosimo, Masaccio, Vinci, Poussin, Dürer, c'est à Titien que René Vidal a décidé de rendre hommage. Son choix c'est porté, pour commencer, sur la Vénus d’Urbino commandée au peintre vénitien en 1538 par Guidobaldo delle Rovere, duc d'Urbino. Les contours de la déesse, comme tracés au feutre noir sont en bois reconstitué peint. La Vénus de René Vidal dont les courbes possèdent un charme sensuel indéniable n'a rien a envier à celle de Titien. Celle à qui les romains consacraient le mois d'avril -époque où se manifeste dans toute la nature le renouveau de l'amour -semble inviter le spectateur à partager son lit d'affiches rapportées d'Italie où dominent les bleus opalescents, les rouges sang et les jaunes dorés chers à Titien. En dépit du caractère très privé de la scène, René Vidal a su conserver le genre de la peinture d'inspiration érotique -qui place le spectateur au rang de voyeur -sans toutefois tomber dans la représentation crue du nu féminin, comme il l’avait pu le faire auparavant avec des oeuvres comme Bataille de 1973 ou encore Odalisque de 1994.
Dans un second temps, René Vidal a ramené de son séjour à Naples, le souvenir quasi palpable du chef d'oeuvre de Titien dans l'art du clair-obscur et dans l'harmonie parfaite des demi-tons, Danaé (1545/46, musée Capodimonte, Naples) exécutée pour le compte du duc Ottavio Farnèse. Menacée par un oracle de mettre au monde un fils qui tuerait son grand-père, Danaé fut enfermée par son père Acrisios, roi d'Argos, dans une tour d'airain. Zeus, qui l'aimait en secret, pénétra dans le cachot en se métamorphosant en pluie d'or et séduisit la jeune fille. De cette union enchantée naquit le héros Persée. Courroucé, Acrisios fit exposer sa fille et l'enfant dans un coffre, qu'il abandonna aux flots. Tous deux échouèrent dans l'île de Sériphos, où régnait Polydectès ; ce tyran essaya d'obtenir les faveurs de celle qu'il avait recueillie mais Persée délivra sa mère et parti pour Argos où, sans le savoir, il réalisa les prédilections de l'oracle.
Le talent de René Vidal réside dans cette union du passé et du présent. Avec des formes simples, des contours lisses, il exprime, dans ces sculptures-collages, plus grandes que nature, toute la sensualité et la vitalité du nu féminin héritées de Titien.
LES COLLAGES : Peut-on parler de natures mortes telles que les peintres modernes les ont remis au goût du jour ? René Vidal, comme Cézanne avant lui, se joue des matériaux; il sculpte ses tableaux, mêlant aux fruits prédécoupés dans des filtres à café usagés (encore !) de véritables filets d'oranges / de citrons. Le tout est collé sur un fond de pages déchirées, tirées d'un dictionnaire de langue étrangère, et masquées d'une fine couche de peinture. "Avec une pomme je veux étonner Paris" a écrit Cézanne, avec ses citrons et ses ananas, dans une floraison de couleurs vives qui transfigurent les natures mortes en natures vives, René Vidal continu de nous surprendre. Les compositions sont simples, lumineuses. C'est un peu de l'ensoleillement de Naples que nous fait partager avec lui l'artiste. Le citron, largement répandu dans les natures mortes du siècle d'or, remplaçait le cierge allumé, symbole de la foi qui permet de lire les saintes écritures. Utilisé usé, il représentait la brièveté de la vie humaine. Ici, l'atmosphère chaleureux des coloris (rouge, orange, or, bleu) confère aux collages un rayonnement particulier empreint d'exotisme et de sensualité sous-jacente. La forme mamelonnée des sommets du citron, telle un sein de femme, la pulpe sucrée et savoureuse de l'ananas et ses feuilles typiquement tropicales, sont autant d'invitations au voyage (on pense à Matisse, à Gauguin) que de tentations inscrites parmi les sept péchés capitaux...
"L'orientalisme" tel que le pratique René Vidal naît d'un vécu; l'artiste rapporte de ses voyages en Italie et en Espagne des écrits et des croquis qui sont à la base de ses sculptures réalisées ultérieurement dans son atelier mourenxois, véritable caverne d'Ali Baba. René Vidal: un épicurien ? Sans aucun doute... . L'exposition, essentiellement basée sur l'exotisme et la volupté, en sera certainement une belle illustration.
Pour plonger vous aussi dans l'ambiance de ces régions chaudes, prenez le route qui mène à Toulouse...
Prisca CAZAUX
Exposition Toulouse 2001
(1) Philtre (lat. philtrum) : Breuvage magique propre à inspirer à l'amour. retour
(2) Les filtres à café usagés, comme un sceau original de l'artiste, hantent ses oeuvres depuis 1993 lorsqu' il les a utilisé pour la première fois dans une importante série de collages (les Unes de presse ) témoignage d’un art à l'image du Monde. On les retrouve notamment dans les Tondi et les Pyrénées en volume. retour