BANDERAS-BURKAS            HUESCA octobre 2003

En 1986, lors de mon premier voyage à Florence, je tenais absolument à visiter l’église des Carmines, pour voir les fresques de Masaccio.
Malheureusement, celles-ci étaient en restauration. C’est à travers un minuscule trou dans la toile de protection que j’ai pu percevoir "Adam et Eve chassés du Paradis".
A mes yeux Masaccio était le porte drapeau de cette peinture humaniste qui bouleversa l’art au Quattrocento.
Il m’avait donc fallu regarder son travail par un petit orifice, frustration que je partageais entre agacement et délectation, dans la capture de cette image symbolique.  Adam cachait son visage derrière l’entrecroisement de ses doigts, et Eve, visage douloureux, semblait fermer les yeux.
Les années 90 et le régime des talibans, ont mis en évidence la condition  de la femme afghane avec l’emblématique burka.
Comme des TOILES /GRILLAGEES/ subtilement colorées.
                                 /HUMAINES/
C’est dans l’association de ces deux faits qu’est né le concept de Banderas-Burkas.
La matérialité du vêtement ajouré au niveau des yeux de la femme, comme celle de la toile de protection percée lors de la restauration, rendant plus efficace l’utilisation du filtre à café dans sa nouvelle fonction de filtre à regard.
Les dualités : homme/femme
                     Adam/Eve
                     Regard caché/yeux fermés
                     Vu/regardé,
sont autant de bannières que peuvent brandir les humains ou se protéger derrière, d’où la nécessité d’une installation en recto/verso : devant/derrière.
Il est bien évident que j'aurai pu nommer ce travail : "Four Flags".
Dans le tableau, "Three Flags" de 1958, l'illusion des trois plans qui créent la profondeur est accentuée par la diminution des deux premiers drapeaux. Nous retrouverons dans mon installation cette profondeur dans l'espacement naturel entre chaque bandera, et par l'augmentation progressive de la partie ajourée des burkas.
De même, l'utilisation dans les parties blanches des banderas-burkas, d'étoiles en surépaisseur, répondent à celles du drapeau américain, et, rappellent les décors brodés qui entourent la zone du regard de la burka.
On pourrait noter encore qu'à la matérialité de la peinture chez Jasper Johns répond la matérialité des filtres dans leur disposition même.
Lorsque Virginia Espa m'a proposé de participer à Periferias sur ce thème, j'ai pensé tout de suite, à Johns, à Raynaud, ... et au travail que j'ai fait il y a deux ans sur le drapeau de Cuba, pour la série "Café/Quotidien".
Mais il y a toujours quelque chose de frustrant pour un créateur de redire dans les pas de ses prédécesseurs.
A cet égard, la thématique 2003 est un  fil d'arête aux passages délicats. Aussi m'a-t-il semblé qu'il valait mieux suggérer avec discrétion, sous peine de devoir expliquer, que de jouer avec des effets de miroir.

René Vidal

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