Coup de zoom sur René Vidal
sculpteur des cimes

Passagères clandestines - 1986 - Bois peint
On ne passe pas en montagne, C'est la montagne qui passe en vous, et elle y vibre d'un écho si profond qu'il est générateur de création. Pour René Vidal, les sommets pyrénéens sont source d'inspiration infinie.

« La série n'est jamais close. », sourit-il en évoquant ses sculptures des cimes, dont la première, hymne à l'Ossau, Passagères clandestines, date de 1986. Si son style se renouvelle au gré d'une imagination féconde, sa démarche reste ancrée dans l'essence du pyrénéisme, selon la trilogie à laquelle adhérent de génération en génération les vagabonds de la "petite chaîne" : ascensionner, prélever, restituer. vivre une montagne d'évènements intimes, l'intérioriser, et redonner forme à cette expérience éphémère pour témoigner de l'alchimie unique qui s'accomplit entre le paysage et la pensée, entre l'histoire et l'actualité. Entre soi et l'infini.
René Vidal matérialise l'indicible. Il fait de ses courses un récit en volumes, une reconstitution organisée et surréaliste, où mythe et anecdote se répondent dans une version complémentaire inédite. En objets disparates qu'il charge de sens,, il recycle ses émotions. La montagne devient puzzle en zestes de matières, de formes et de tons. Il porte sur ses créations un regard ludique. Collectionneur instinctif, il amasse dans son atelier des panneaux de bois finement travaillés, des éclats de céramique, des filtres à café, des métaux divers, des figurines de de plâtre aux couleurs vives, des morceaux de cartes IGN, des cailloux, des feuilles ou des plumes, des objets non identifiées : autant de trésors qui trouveront place dans un agencement esthétique.

De pic en pic, il suit la trace de son premier de cordée Didier Sorbé, avec Hélène Saule ou d'autres proches (sa femme, ses enfants). Les deux artistes - Didier s'exprime en photos, Hélène en aquarelles - lui offrent souvent des présents incongrus... Tel ce squelette de parapluie, devenu symbole d'orage dans la sculpture de l'Aneto. L'aventure est humaine avant d'être héroïque : l'amitié alimente son inspiration aussi naturellement que la montagne elle-même. C'est en marchant qu'il élabore la première ébauche mentale de la sculpture, fixant dans sa mémoire la courbe d'un relief, le graphisme étrange d'un névé solitaire, état de la terre et du ciel, ou le cataclysme d'une tempête imprévue. Une pierre qu'il ramasse sur place va donner à l'oeuvre une sorte de carte d'identité naturelle du sommet gravi.
De retour, il jette sur le papier une poignée d'émotions, cernant par écrit ambiance et éléments. Puis l'action devient technique : il détermine volumes et couleurs par des croquis, esquissés ou au contraire très travaillés. Ces préambules débouchent sur la sculpture, qui le confronte aux contraintes de la matière. Il explique : « Le processus de création peut être très long, le temps tamise le vécu. »

Le massif de l'Aneto
La sculpture, qui mesure 2,60 m de haut, évoque la forme de la croix du sommet, le profil des crêtes traversées est retranscrit par l'arête en cuivre. Des filtres à café pour les bruns de la terre, des éclats de céramique bleus et blancs pour la neige. Les métaux sont soudés, les panneaux de bois vissés et boulonnés : trois mois pour le travail d'assemblage et de finition ! L'orage: « Des minutes qui ont semblé des heures... je ne pensais plus à ma sculpture ! », avoue-t-il. « Plus tard, je me suis dit qu'un parapluie n'aurait servi à rien. Ses baleines décharnées évoquent aussi les cheveux de mes compagnons de cordée, dressés sur leurs têtes. On entendait les abeilles et on a jeté les piolets, mais on a été protégés, comme dans une cage. Dans la cage de la sculpture, l'ampoule symbolise les éclairs. Ensuite, le ciel s'est dégagé, rempli d'étoiles énormes : j'avais l'impression de les pêcher du regard, et j'ai donné au grillage de la cage un quadrillage imitant un filet de pêche. Dans une niche cachée sur le côté, se trouve un petit Christ entouré de fil électrique... la croix du sommet a pris l'orage aussi ! »
L'Espagne. L'Aneto, point culminant des Pyrénées, se trouve en Espagne. René a intégré à sa sculpture une petite grille d'aération mauresque en fonte, un fragment de drapeau catalan trouvé au sommet, et, à l'intérieur d'une niche secrète, une corne.

 

Aneto, arête des Salenques - 1997 - Bois et matériaux composites

 « La course passe par l'endroit appelé Trou du Taureau, où naît la Garonne. J'avais en tête l'idée de corrida, et les paroles de la chanson de Nougaro, "A Toulouse, l'Espagne pousse un peu sa corne". Au centre de la sculpture, il y a ce trou, avec une patte de taureau que j'ai sculptée dans un morceau de bois offert par Didier et Hélène. »

 

Le pic d'Orhy

Orhy - 1999 - Bois et matériaux composites

 

La montée à l'Orhy a été rythmée par le son du vent. « Une musique sidérale, comme si la montagne était une harpe géante. » Les tiges de fer qui jalonnent une partie de l'itinéraire (autrefois servant à l'implantation de cabanes de chasse) sont d'acier dans la sculpture. Les éclats de cristaux symbolisent le gel qui paralysait la végétation. La course a eu lieu le jour de Pâques, d'où la présence sur le terrain d'un flot d'espagnols en pèlerinage, et dans la sculpture, d'un verre rouge évoquant le sang du Christ et la lumière rouge des églises. Pour contrebalancer d'un zeste de provocation douce ces références religieuses, René a monté sa sculpture sur des jambes de femme. Au retour, les randonneurs ont croisé des groupes folkloriques navarrais, aragonais et béarnais vêtus de costumes traditionnels et chaussés d'espadrilles, jouant des musiques de Pâques : au centre du souvenir, la musique. Et au centre de la sculpture, une guitare... revisitée par l'artiste !

Mapie Courtois

 

boîte noire
Né en 1946 dans le Lot, élève du sculpteur Marcel Gili, René Vidal enseigne les Arts Plastiques dans les Pyrénées-Atlantiques depuis 1978. Sa notoriété s'est affirmée d'exposition en exposition - il en compte plus de 40 -, il est l'auteur d'une trentaine de sculptures dédiées aux sommets. Saisissantes et monumentales fantaisies esthétiques, elles racontent de petites histoires vécues en montagne... parfois sous la forme d'un surréalisme à la Dali !


Alpinisme & Randonnée                                            N° 249 - novembre-décembre 2003